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Jean-Michel François

Les ravissements de l'ombre

Pour ceux qui savent fermer les yeux, la noire obscurité emplit les intelligences de splendeurs plus belles que celles de la Beauté elle-même.

Denys l'Aréopagite

Beaucoup de langues n'utilisent qu'un seul mot pour désigner à la fois une image, l'‚me humaine et l'ombre. Mythes et légendes ont souvent conféré à cette dernière le pouvoir d'incarner notre double mystérieux. Philosophes et psychanalystes ont depuis lors teinté ses noirceurs de multiples significations. Symbole des couches inconscientes de notre psyché, l'ombre a toujours exprimé les tréfonds de l'être. Dans l'Islam, l'homme qui en est privé est proche de la perfection. Pour les Chinois, sa perte signifie que l'on est devenu transparent à la lumière. Jean de la croix voyait dans la nuit obscure une source d'illumination et dans son Livre des Visions, Angèle de Foligno percevait la lumière dans une ténèbre si profonde qu'elle devenait pur éclat.

L'exégèse de l'ombre n'est pas le strict apanage de la religion ou de la psychanalyse. Des origines à l'age contemporain, les artistes peintres ont fait chanter la couleur du noir ou vibrer la lumière de l'obscur.
A ce titre, Jean-Michel François est presque exclusivement un plasticien de l'ombre. Cela fait maintenant quelques années que ce mythologue du sombre ravit notre attention par l'étrange noirceur polyphonique de ses oeuvres. Les valeurs tonales de ses dessins sont délibérément retenues dans des bleus foncés très intenses. Ces tableaux imposent à nos regards d'étonnantes structures qui émergent des ténèbres avec une surprenante force plastique. Cette noirceur bleutée confère à ces présences une dimension presque fantasmatique. Le spectateur se trouve ainsi confronté à un étrange arsenal d'accessoires qu'il croit pouvoir reconnaître sans toutefois l'identifier clairement. L'objet peint doit rester une énigme pour Jean-Michel François. L'allure pseudo figurative de ses oeuvres se joue facilement du regard cartésien. Les mises en page frontales et symétriques proposent des formes souvent quadrangulaires et faussement répétitives. Rigoureusement neutres au niveau structurel, ces constructions anonymes défient tout repérage descriptif. Un seul objet suffit pourtant à occuper la totalité d'un tableau. Immobile, silencieux et nimbé de clair-obscur, sa solitude inquiète quelquefois par trop de sérénité. Est-il question de casemates, de coffres-forts blindés ou d'architectures imaginaires ? Identifier est une entreprise vouée à l'échec, il importe peu de reconnaître à tout prix. Le seul objet véritable n'est rien de moins que la peinture elle-même.

Il règne pourtant dans l'uniformité géométrique de ces formes rectilignes une troublante inquiétude. L'oeuvre de Jean-Michel François est peuplée de multiples pulsions contradictoires. Elle passe subitement de l'ombre à la lumière, de l'évocation figurative à l'abstraction ou de la fonctionnalité à la pure gratuité plastique. Son univers nocturne se pare ainsi d'un mystère ambigu. La nuit représentait déjà pour les Grecs un concept équivoque. Elle était incarnée par la déesse Nyx qui était fille du Chaos et mère du Ciel et de la Terre. Elle avait également pour fils Hypnos, le rêve. Elle était donc à la fois la mère du sommeil, du songe amoureux mais aussi de la mort Thanatos. Jean-Michel François poursuit plastiquement cette même ambiguïté. Le velouté sensuel de ses bleus nuits joue de concert avec le mystère presque funèbre des objets. Sensualité et angoisse se partagent donc à valeur égale l'impression que dégage chaque oeuvre. La technique utilisée par l'artiste explique en partie cette étrange séduction. Le dessinateur laisse jouer la magie des crayons de couleur. Les touches se déclinent invariablement selon des obliques régulières. Jean-Michel François a très rarement varié sa technique au fil des ans. Virtuose du sombre il donne ainsi aux gammes de l'ombre une incroyable sonorité, et l'on sait que les voix du noir sont les plus difficiles à accorder.

Olivier Duquenne
In Arte News, Octobre 2007
 

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